Le 29 octobre 1942, le chef de gouvernement du Portugal, le dictateur António de Oliveira Salazar, écrivit à un célèbre intellectuel suisse conservateur, le comte Gonzague de Reynold, un ami avec lequel il correspondait régulièrement sur les affaires internationales. Reynold connaissait bien le Portugal et, avant la guerre, avait beaucoup écrit à ce sujet, ainsi que sur l’État nouveau de Salazar2. Salazar déclina l’invitation de Reynold à se rendre en Suisse – « ma nature sédentaire est trop connue et trop forte pour me permettre de dissimuler un voyage à l’étranger et, une fois que ce serait connu, d’empêcher les spéculations les plus incontrôlables » – invitant plutôt le comte à venir au Portugal : « Je pourrai vous faciliter l’entrée et le séjour ici – et nous emploierions les quelques heures de la journée que nous choisirions de passer ensemble pour échanger nos impressions et nos opinions sur la situation et les opportunités, présentes ou futures. » Dans cette lettre, en brossant le tableau d’une Europe plongée dans sa troisième année de guerre, Salazar fit un commentaire révélateur : « Le nazisme, relativement à sa conception de la politique internationale allemande, n’est-il pas l’expression contemporaine d’un pangermanisme éternel ? Si Bismarck vivait aujourd’hui, ne ferait-il pas ce que Hitler a fait – intégrer l’Autriche, dominer les nations de l’empire autrichien, affirmer ouvertement son aspiration à l’hégémonie absolue en Europe ? 3 » Lorsque, dans cette lettre, il présente le Troisième Reich de Hitler, le dictateur portugais omet totalement de mentionner la composante raciale meurtrière qui le soustend. À cet égard, la correspondance entre Salazar et Gonzague de Reynold est caractéristique de ses opinions persistantes sur la nature de la guerre...